Catégorie: La parole à
Date de publication: juillet 09, 2018

PBI en fraise : des ravageurs secondaires sous haute surveillance

Le point avec Lucy Malleterre, technico-commerciale Sud-Ouest, spécialiste fraise pour Koppert France.

La fraise est une culture sensible à de nombreux bioagresseurs, ce qui rend sa protection stratégique pour le producteur. Face à la diminution des matières actives homologuées, mais également face à la perte d’efficacité des produits phytosanitaires de synthèse (phénomènes de résistance), la Protection Biologique Intégrée est plébiscitée par les fraisiéristes. Lucy Malleterre, spécialiste sur cette culture chez Koppert France nous apporte des pistes de réflexion sur tarsonèmes et aleurodes, deux ravageurs considérés comme secondaires mais qui pourraient bien viser les premiers rôles si on les laisse faire cette année ! Comme toujours en PBI, une approche globale de la culture et de l’anticipation sont de mises.

Quelle est la situation sanitaire en fraise actuellement en France ? Les pressions rencontrées et les solutions biologiques mises en place ?

Lucy Malleterre : Le ravageur le plus préoccupant reste le thrips notamment dans tout l’ouest de la France. La protection chimique face à ce ravageur n’est plus une option sérieusement envisageable. Il n’y a plus de rattrapage possible. L’absence d’efficacité est établie. Il faut travailler en biologique en intégrant climatologie et connaissance de l’environnement proche. Nous conseillons principalement Amblyseius cucumeris et swirskii. La stratégie est adaptée en fonction des températures, de la luminosité et des pressions rencontrées.

Le puceron est le deuxième ennemi majeur. Sept espèces de pucerons sont présentes dont trois particulièrement délicates à maitriser : Chaetosiphon, Rhodobium et Acyrtosiphon sont à bien prendre en compte dans les stratégies employées. Il est essentiel d’apporter des parasitoïdes et prédateurs qui sont complémentaires. La température est un facteur clef pour les auxiliaires pucerons qui doivent pouvoir être lâchés dès le mois de février. La chrysope répond à cette contrainte de façon utile pour le démarrage. La disparition du Calypso en septembre 2018 rend la gestion par le biocontrôle incontournable et les producteurs intègrent ce challenge avec une approche préventive et prophylactique.

L’acarien est bien maitrisé avec nos solutions notamment Neoseiulus californicus et Phytoseiulus persimilis. Les ravageurs émergeants et dorénavant bien installés sont la drosophile (D. suzukii) et les punaises au sens large. Ils freinent et basculent nos équilibres, nous recherchons activement de nouvelles solutions les concernant. Enfin, deux problématiques s’accentuent au fil des années. On sous-estime l’importance de l’aleurode en fraise. Cette année, dans le Sud-Ouest, toutes les parcelles en culture longue ou en contre-plantation sont concernées. L’absence de vide sanitaire amplifie le problème. Le tarsonème (Phytonemus pallidus subsp. fragariae) quant à lui, reste un ravageur plus ponctuel mais qui peut se révéler redoutable. 2018 semble malheureusement lui être propice ! Il est fondamental d’intégrer des auxiliaires face à ces nouveaux ennemis dans les programmes de protection.

Face à tous ces défis, la PBI gagne chaque année des surfaces et il y a beaucoup plus d’attentes aujourd’hui vis-à-vis du biocontrôle. L’alternative biologique n’est plus un choix pour les producteurs, c’est devenu une obligation.

Parlez-nous de ces ravageurs secondaires qui prennent de l’ampleur ?

Lucy Malleterre : Phytonemus pallidus est invisible à l’œil nu et aime les conditions chaudes et sèches. Il gaufre les feuilles de manière caractéristique, les fleurs sont comme brulées, de couleur marron, des épines très typiques apparaissent sur les hampes. Les bouquets avortent ou les fruits sont complètement déformés et invendables. On ne voit le problème que trop tard. Jusqu’ici, le problème était souvent très localisé dans la culture. Cette année, les zones sont beaucoup plus larges (jusqu’à près de 40% de la surface totale touchée). Si une prophylaxie et des mesures spécifiques pour le personnel (telles que désinfection des mains et limitation de l’accès au foyer) ne sont pas mises en place très vite, le problème s’étend tout aussi rapidement.

Concernant l’aleurode, il y a véritablement deux ennemis : l’aleurode des serres Trialeurodes vaporariorum et l’espèce plus spécifique Aleyrodes lonicerae. Les deux produisent du miellat qui provoque la fumagine. La plante s’affaiblit (déficit photosynthétique) et les fruits sont salis. On ne peut pas laver les fraises comme les tomates, la perte de rendement peut alors être totale. Il est rare d’être attaqué sur la surface totale, il faut être vigilant sur les points chauds de la serre. En 2018, le début de saison a été assez calme, mais une forte amplification se fait ressentir depuis mai. Le plus dur est à venir cet été.

Pour le tarsonème, que conseillez-vous en terme de biocontrôle ?

Lucy Malleterre : il faut repérer tous les foyers soigneusement et supprimer les plants les plus atteints. Ensuite nous conseillons de lâcher massivement Neoseiulus cucumeris en localisé. Le Thripex 500 000, nouveau à la gamme cette saison, répond bien à cette attente. Si le repérage n’est pas assez qualitatif, nous devons lâcher massivement en généralisé. Neoseiulus cucumeris, Neoseiulus californicus, Amblyseius swirskii et Amblydromalus limonicus sont tous actifs sur le tarsonème. Nous orientons les producteurs sur le choix du cucumeris car les lâchers massifs avec cet allier sont tout à fait envisageables d’un point de vue économique. Il ne faut pas hésiter à augmenter les doses rapidement. La formation du personnel à la reconnaissance précoce est un axe d’amélioration important que nous préconisons. On réalise ensuite un suivi pour mesurer le taux de cucumeris en culture. J’effectue régulièrement des prélèvements en culture pour vérifier la présence/absence du tarsonème sur des parties de végétaux qui semblent encore sains.

Et pour l’aleurode, quelle est la stratégie à mettre en œuvre pour limiter ce bioagresseur efficacement sur les sites sensibles ?

Lucy Malleterre : Amblyseius swirskii, utilisé pour le thrips en cible principale, agit également en fraise sur Trialeurodes mais ne suffit pas en cas de forte pression sur cette culture et est inactif sur A. lonicerae. C’est pourquoi on travaille avec Amblydromalus limonicus, Limonica. Comme il est assez long à s’installer, il est essentiel de démarrer dès le début de culture, dès la floraison. Il supporte les températures fraiches, ce qui permet de l’installer tôt, mais supporte aussi le climat estival comme un Swirskii. Une belle performance pour un auxiliaire qui fait le grand écart ! Limonicus est plus performant que Swirskii sur les aleurodes mais en revanche il l’est moins sur le thrips. Il y a une vraie complémentarité. Les deux auxiliaires se répartissent différemment sur la plante. Limonicus se positionne plutôt sur les feuilles tandis que Swirskii a plutôt tendance à se répartir sur l’ensemble du plant. Il descend plus dans le cœur, sur fleurs et sur fruits. Il n’est pas possible de distinguer morphologiquement les deux espèces sur le terrain. Je conseille un apport de A. limonicus initial car l’aleurode prend une ampleur dangereuse. Il ne faut pas se laisser déborder et tenir compte de la menace. La stratégie doit être complète, d’où l’importance d’un apport complémentaire avec les panneaux jaunes. L’ingéniosité peut également être une option non négligeable, je pense aux systèmes d’aspiration mis en œuvre dans le Sud-Est sur tomate contre aleurodes et Nesidiocoris. Ces méthodes pourraient être adaptées à la culture de fraises. La lutte mécanique venant compléter la panoplie du biologique.

La PBI fait ses preuves depuis une quinzaine d’années maintenant, mais l’attente est aujourd’hui très forte. Nos stratégies évoluent et se perfectionnent, notre conseil est toujours positionné dans l’échange avec les producteurs , chefs de cultures et techniciens. Associé aux innovations (Limonica, Ulti-Mite swirskii en 2017), c’est la formule qui nous semble la meilleure pour relever les challenges d’une culture qui nous met régulièrement au défi technique.